Nous
avons vu que jusqu'ici les seules actions entre Royal Navy
et Hochseeflotte s'étaient limités à
des escarmouches d'unités légère en
mer du Nord, et des batailles menées contre l'escadre
Allemande d'outre-mer. Il faut attendre le début
de 1915 pour que la flotte Allemande sorte de sa timidité
et tente une action. En l'occurence on confia cette action
aux croiseurs de bataille du vice-amiral Hipper, car il
disposait du seul instrument assez rapide pour échapper
à la flotte Anglaise si les choses tournaient mal.
En décembre, également sans doute en réplique
de la destruction de l'escadre de Von Spee, Hipper reçut
instruction de faire route sur la côte est de l'Angleterre
et de bombarder Hartlepool, Scarborough et Whitby, pensant
briser la résolution des civils.
Effectivement,
le premier raid eut lieu le 16 décembre 1914 au matin,
le bombardement durant une demi-heure. les dégâts
étaient considérables. Il n'y eut cependant
que 19 morts et une centaine de blessés, et des dizaines
de chalutiers coulés ou endommagés. Les croiseurs
de bataille repartirent sans être inquiétés.
Ce raid provoqua un scandale et la Royal Navy fut mise sur
la touche. Encouragé par ce succés, il reçut
instruction de tenter un nouveau raid sur le banc de Dogger,
zone de pêche très fréquentée
des chalutiers Anglais, à mi-chemin entre l'Angleterre
et l'Allemagne. Cependant cette fois, l'escadre de croiseurs
de bataille de l'amiral Beatty, mouillée à
Scapa Flow plus au nord, était en état d'alerte.
Le 23, durant la nuit, un message TSF Allemand est capté
et décodé par la "Room 40" à
Londres. Beatty sait que Hipper est en route et il appareille
avec le Lion,
le New
Zealand, le Princess
Royal, le Tiger
et l'Indomitable
et les 6 croiseurs légers de Goodenough dont le Southampton,
le Birmingham,
le Nottingham
et le Lowestoft.
Il sera rejoint plus tard par une escadrille de Destroyers
venant de Harwich.
C'est à 7h20 du matin que Beatty est en vue des panaches
noirs de l'escadre Allemande, au sud du Dogger Bank. Hipper
est parti la veille de Schillig avec quatre croiseurs de
bataille, les Seydlitz,
Derfflinger,
Moltke
et Blücher.
Il lui manque le Von der Tann, en carénage.
Il sait que ses unités sont légèrement
moins rapides ( mais mieux protégées ), en
particulier le Blücher. Il est légèrement
armé et assez lent, d'ailleurs considéré
par les standards maritimes et la Royal Navy comme un "croiseur-cuirassé".
Il est encadré par quatre croiseurs légers,
les Graudenz,
Rostock,
Stralsund
et Kolberg,
et 19 torpilleurs de haute mer ( destroyers ). En tête,
se trouvent le Seydlitz et en avant-garde le Graudenz
et le Stralsund, en queue le Blücher,
et sur les flancs le Rostock et le Kolberg,
eux-même entourés par des destroyers. A l'époque
la livrée des destroyers Britanniques était
gris sombre, aussi pour ne pas les confondre avec les destroyers
Allemands, noirs, leurs cheminées avant étaient
peintes en rouge.
Vers 7h30, Hipper réalisa qu'il pouvait encore fuir
et fit faire volte-face à ses navires, ce qui signifiait
aussi une perte de temps durant la longue manoeuvre. Tout
son dispositif se retourna cependant et à 8h00, il
était reparti en sens inverse, cap sur l'Allemagne.
A 8h15 une escarmouche avait eu lieu entre les deux avant-garde
à 5000 mètres, l'Aurora
engageant le Kolberg, sans résultats. Mais
de son côté Beatty n'attendait que d'en découdre,
les occasions ayant étées trop rares. Ses
chauffeurs firent des prouesses, et la ligne de bataille
Anglaise rattrappa la flotte Allemande, la remontant en
parrallèle au sud tandis qu'au nord de celle-ci,
la force de harwich l'encadrait également, et la
1ere escadre de croiseurs légers prenait place au
nord de la ligne Allemande. Le Blücher se trouvait,
encore une fois, en queue, et se laissait gagner par la
ligne ennemie. A 9h25, ce dernier est encadré par
des destroyers Anglais qui tentent de le torpiller. De quelques
salves de 210 mm, il les repousse. Mais le répit
est de courte durée. L'escadre Alemande ne peut tenir
que 21 noeuds, pour ne pas laisser le Bücher derrière,
or, les Anglais tiennent 27, puis 28 noeuds, et avalent
les milles. A 9h30, le Lion ouvre le feu, et le Seydlitz
reçoit un obus sur sa tourelle arrière, qui
sous le choc, sort de son rail et les servants sont tous
tués. Un incendie se décenche, et l'un des
officiers survivants fait noyer les soutes à munitions
in extremis. Le Seydlitz est provisoirement sauvé,
mais le choc est rude...
A 9h52, Beatty demandait à ses chauffeurs et soutiers
de porter au rouge les chaudières en forçant
la vitesse de son escadre à 29 noeuds... ( Après
tout la propagande de Fisher au sujet de ses "splendid
cats" ne tenait elle pas d'abord au fait que ses navires
pouvaient dépasser 30 noeuds?... ). A 20 000 mètres,
le Lion en tête, qui porte la marque de David
Beatty, tire sur le navire de queue, le Blücher.
Beatty avait donné des ordres pour que l'Indomitable
et le New Zealand en queue prennent à partie
le Blücher, tandis que les trois navires de
tête prendraient chacun leur opposant respectif de
la ligne de bataille Allemande. Mais le jeune commandant
du H. B. Pelly du Tiger et ses hommes sont inexpérimentés
et vont commettre deux erreurs: Tout d'abord Pelly interprête
mal les ordres et pense devoir concentrer son tir sur le
Seydlitz, alors que son opposant, le Moltke,
reste épargné, lui laissant les coudées
franches pour viser le Lion... Pire, l'officier de
tir du Tiger confond les gerbes de 305 mm du Lion
avec les siennes et son tir n'est pas efficace.
A 10h00, Beatty apprend que Jellicoe et ses cuirassés
rapide de la 3e escadre de ligne et la 2e escadre légère
ont appareillé de Scapa Flow, et arrivent cap au
sud, tentant de couper la route Nord ( Le Skaggerak ) de
Hipper. Le piège est en place. Pour les Allemands,
c'est une fuite effrénée qui se poursuit,
et le résultat est plus qu'incertain. Pour le Blücher,
il est plus que sombre: Il a encaissé plus d'obus
que de raison et s'éloigne de la ligne. Hipper n'aura
pas d'autre choix à 10h30 que de l'abandonner à
son sort et de forcer sa vitesse. L'indomitable partira
à la suite du Blücher, et l'achèvera.
A 10h15, la bataille faisait rage, à pleine vitesse.
Les vibrations n'aidaient pas les responsables du tir. Néanmoins
la distance était tombée à 14 500 mètres
et les obus pleuvent des deux côtés. A 10h18,
le Derrflinger réussit à placer trois
obus de gros calibre sur le Lion, qui traversèrent
le pont arrière et endommagèrent les machines.
Des voies d'eaux les envahirent et sa turbine bâbord
fut mise hors service. Perdant rapidement de la vitesse,
le Lion quitta la ligne et était presque arrrêté
à 11h00. Beatty se fit transporter sur une vedette
du bord pour regagner la bataille sur le Princess Royal.
Pendant ce temps, la poursuite continuait avec le contre-amiral
Moore, mais à 10h50 un des veilleur du Lion aperçut
le périscope d'un U-Boote. Beatty, qui croyait à
un piège classique et emmener ses navires sur une
ligne de submersibles ennemis fit effectuer à son
bâtiment un virage à 90° tandis qu'il faisait
monter à son grand-mât ses ordres par pavillons
( Les tirs du Derfflinger avaient coupé l'électricité
à bord, sa TSF et les projecteurs n'étaient
plus utilisables ).
Un erreur de pavillon qui pesa lourd pour la suite survint
alors: Le premier signal qui monta était "cap
au nord-est" ( pour éviter l'éventuel
piège de submersibles ) et le second monta alors
que le premier n'était pas descendu, demandant à
Moore de poursuivre l'arrière-garde. L'interprêtation
des deux signaux ensemble fit que Moore pensait devoir poursuivre
le Blücher. Il mit cap au nord pour rejoindre
l'Indomitable, épargnant du coup les croiseurs
de bataille Allemands restants. Au moment ou les navires
Brianniques s'éloignaient, Beatty se trouvait, impuissant,
sur une vedette ballotée par les lames, entre son
vaisseau et le Princess Royal. Lorsqu'il arriva à
bord il était trop tard pour corriger les ordres.
Hipper avait fui et Moore avait laissé passer une
occasion unique de détruire la flotte de bataille
rapide de la Hochseeflotte. L'Indomitable, qui canonnait
le Blücher fut ainsi rejoint par les trois autres bâtiments
de Moore et à 11h00, il avait chaviré et entraînait
dans la mort 782 hommes. A 11h30, Hipper avait sauvé
ses navires. Les Britanniques avaient tous mis le cap au
nord-ouest, vers Scapa Flow...