La bataille du cap Sarytch (
18 novembre 1914 )
Prologue: De nouvelles recrues
pour la flotte Turque:
En août 1914, la déclaration
prenait au dépourvu toutes les unités Allemandes
stationnées hors de la métropole. Il s'agissait
d'abord de l'escadre du pacifique sous les ordres de Von Spee
( voir batailles de coronel et des malouines ), mais aussi
du croiseur Königsberg
et de la vieille canonnière Geier
en Afrique de l'est, des Panther et Eber en
Afrique de l'ouest ( Cameroun ), des Condor
et Cormoran
en océanie, et de l'escadre Allemande de méditerranée,
stationnée à Dar-es-Salaam ( Voir "la fuite
du Goeben" ). Les deux navires Allemands, un croiseur
de bataille et un croiseur léger, se trouvaient réfugiés
à Constantinople depuis le 10 août et officiellement
intégrés à la marine Turque depuis le
16, avec pour conséquence l'entrée en guerre
de la Turquie aux côtés des empires centraux.
Le Goeben
sera rebaptisé Yavuz Sultan Selim plus tard,
mais le Breslau
devint presque immédiatement le Midilli. L'équipage
restait le même, mais les officiers avaient troqué
leur casquette contre le fez. Les deux batîments portaient
le pavillon rouge à croissant de la "sublime porte".
La bataille:
Les deux bâtiments étaient
désormais le fer de lance de la flotte Turque. Ils
pouvaient s'en prendre au trafic marchand en mer noire, et
frapper la crimée et les côtes Russes en bombardant
les fortifications côtières. Un raid de la flotte
Turque contre Sébastopol n'était plus désoirmais
inenvisageable... La flotte de la mer noire, elle, était
commandée par le Vice-amiral Andrei Augustovitch Ebergard
( ou Eberhardt ). Elle se composait des cuirassés pré-dreadnoughts
Evstafi, Ioann Zlaloust, Pantelimon
(l'ex-Potemkine), Tri Sviatitelia, et Rostislav,
et plusieurs croiseurs. On avait entraîné les
équipages des cuirassés à la technique
de concentration du tir de plusieurs bâtiments sur un
seul, leçon retenue à ses dépends de
la guerre Russo-Japonaise, et qui exigeait l'utilisation d'un
des cuirassés comme "maître de tir",
placé au centre de la ligne et corrigeant le tir des
autres bâtiments par radio.
Le 29 octobre, les relations diplomatiques
entre la Turquie et la Russie étaient rompues. Si la
flotte Turque, désormais renforcée, était
maintenant plus menaçante, les Russes attendaient l'achêvement
de trois dreadnoughts modernes qui devaient rétablir
la balance ( les Imperatritza Mariya ). Le 15 novembre,
Eberhardt rassemblait ses forces à Sébastopol
( 5 cuirassés et les croiseurs Pamiat Azovia,
Almaz et Kagul,
ainsi que 13 destroyers ) et apareillait pour effectuer un
raid sur les fortifications de Trébizonde. Il y arriva
le 17, bombarda la côte, puis la remonta pour trouver
d'éventuels navires ennemis au mouillage. Faute d'en
débusquer, il changea de cap pour Sébastopol.
De son côté l'amiral Souchon, qui commandait
le Goeben, savait qu'un raid contre les Russes serait
relativement aisé, Russes qu'il estimait minés
par les troubles subséquents à la mutinerie
de 1905, et commandés par des officiers de piètre
valeur, qui plus est dotés de bâtiments lents
et obsolètes. Informé par le QG de Constantinople
du raid de la flotte Russe, il appareilla à 15h30 en
espérant l'intercepter.
Il remonta la côte Anatolienne,
commença par mettre le cap sur Sinope, mais reçut
par TSF la nouvelle du changement de cap d'Eberhardt vers
Sébastopol. Il mit également le cap plein nord
en espérant rattrapper sa flotte: En effet, le Goeben
et son matelot le Midilli pouvaient sans problème
dépasser les 25 noeuds. Mais Souchon estimant que la
flotte Russe devait naviguer au rythme des plus lentes unités,
comme le Vieux Tri Sviatitelia, il se contenta de 15
noeuds, ménageant ses réserves de combustible.
Au matin du 18, Souchon était en vue de la crimée,
par un brouillard très dense. Il fit envoyer le
Midilli en éclaireur, lequel força son allure
à 18 noeuds. De son côté l'amiral Russe
avait réparti ses forces comme suit: Il avait placé
en avant-garde ses trois croiseurs en une ligne ( Pamiat
Azova, Almaz et Kagul ), puis suivaient
6,4 km derrière la ligne de bataille de ses cuirassés,
le navire-amiral Evstafi suivi des Ioann Zlatoust,
Pantelimon, Tri Sviatitelia et Rostislav.
Ces deux derniers étaient lents, et lorsque l'amiral
donna l'odre de monter la vitesse à 14 noeuds, l'écart
qui existait entre les navires ( 457 mètres ) ne fit
que se creuser. La ligne de cuirassé était suivie
et encadrée par les deux files de destroyers.
Vers 12h10, le Midilli et
l'Almaz s'aperçurent en même temps. Les
deux unités firent volte face pour retourner au gros
de leur flotte. Les croiseurs russes s'écartèrent
ensuite du gros des forces et le Goeben mit le cap à
l'est-sud-est pour se trouver face à la ligne Russe.
Les deux lignes arrivaient en effet frontalement. Mais si
la tension et l'enthousiasme étaient palpables à
bord du Goeben, l'amiral Eberhardt était fort
inquiet de son côté: Le navire de ligne adverse
n'était toujours pas visible. Sur le papier, l'Evstafi
et les deux cuirassés qui suivaient immédiatement
disposaient de 12 pièces de 305 mm de modèle
ancien contre les 10 de 280 du Goeben, le dernier cri
des fonderies Krupp, moins puissants mais plus rapides au
point de pouvoir délivrer presque deux salves pour
une. Le blindage des cuirassés Russes avait été
défini avant la guerre Russo-Japonaise et était
donc mal agencé, tandis que le Goeben disposait
d'un réduit blindé de 220 mm interne courant
sur toutes les parties vitales du navire, et bien que théoriquement
moins protégé, avait pour lui sa vitesse d'évolution
infiniment supérieure. Enfin, dans la tactique Russe
de concentration des tirs, c'est le second cuirassé,
le Ioann Zlaloust, qui devait par radio corriger le
tir des deux autres.
Le commandant Galanin, qui dirigeait
le cuirassé de tête, s'impatientait de ne pas
voir l'amiral ordonner la manoeuvre classique consistant à
"fermer le T", c'est à dire à virer
de bord tous ses navires dans une course perpendiculaire à
celle présumée tenir son adversaire afin de
lui présenter une pleine bordée de flanc de
tous ses cuirassés. La manoeuvre en effet devait être
ordonnée rapidement pour avoir le temps d'être
éxécutée par des bâtiments ne dépassant
pas les 15 noeuds... Mais Eberhardt hésitait. Il ne
voulait pas risquer d'exposer ses navires en pleine manoeuvre
alors que le croiseur de bataille Allemand pouvait forcer
l'allure et arriver d'une route légèrement différente
à celle prévue, mettant à profit à
la fois le brouillard et sa vitesse, contourner la ligne Russe
et se rabattre sur son arrière avant d'engager successivement
ses unités en commençant par les plus faibles,
en queue, et alors même que la ligne de tir de ses navires
se trouvaient en angle mort... A bord du cuirassé
Ioann Zlaloust, le bâtiment de contrôle du
tir de toute la ligne, et qui suivait à 450 mètres,
on ne voyait pas le changement de course de l'Evstafi,
ni non plus le navire Allemand, tellement le brouillard était
dense.
Le Goeben, de son côté,
avait repéré le navire de tête et à
son tour tentait de lui "barrer le T" en mettant
cap au sud, afin de lui présenter toute sa batterie.
La distance était tombée à 7040 mètres,
et Eberhardt, au grand soulagement de ses hommes décida
qu'il ne pouvait attendre d'avantage et ouvrit le feu, à
approximativement 12h20. Seule sa tourelle avant donna de
la voix, car sa manoeuvre pour se placer en parrallèle
n'était pas encore achevée. Lorsque sa tourelle
arrière entra dans la danse, il fit également
donner toutes ses pièces de batterie secondaire au
vu de la distance, laissant croire au Goeben qu'il
était canonné par toute la ligne de cuirassés
Russes !. Du côté du second cuirassé,
on voyait bien l'Evstafi et ses départs de feu,
mais pas le navire Allemand. Les télémétristes
donnèrent un premier rapport erroné, estimant
le Goeben à 11 000 mètres. Il ouvrit
le feu suivi par le Tri Sviatitelia, dont les coups
tombèrent bien sûr trop long, tandis que le Pantelimon
y renonça provisoirement, et que le Rostislav
engageait le Midilli qu'il pouvait aperçevoir.
Les rapport Allemands et Russes
divergent sur certains points de la bataille, mais il semble
que c'est le cuirassé Russe Evstafi qui tira
le premier, avec une bonne visée puisque le Goeben
fut touché à deux reprises au niveau de son
franc-bord. De plus le Goeben tarda à régler
sa hausse du fait que les navires Russes avançaient
maintenant parrallèlement à la côte, s'y
confondant avec le brouillard. Mais dès lors qu'une
solution de tir fut trouvée, la première salve
tomba trop long, bien qu'un obus fracasse la cheminée
avant, mettant du même coup knock-out le poste de visée
radio, empêchant durant tout l'engagement au navire-amiral
en tête de corriger le tir des autres unités
qui suivaient. Sa seconde salve tomba trop court, mais les
deux suivantes mirent deux coups au but chacune. Le navire
Russe de son côté répliquait avec des
pièces secondaires puissantes, des 203 et 150 mm, alors
même que la batterie du Goeben ne comportait que des
150 mm, qui semble-t'il n'entrèrent pas en action.
Le Goeben, à la stupéfaction de Souchon
qui sous-estimait grandement les Russes, fut frappé
par quelques autres impacts, sans grande gravité (
les rapports postérieurs Allemands sont vagues ).
C'est alors que la distane avait
décru à 6000 mètres, vers 12h35, le Goeben
disparut de la vue du cuirassé Russe de tête.
Il s'était éclipsé à la faveur
de la brume. Bien que ce fait ne soit pas en son honneur,
il est difficile de croire que Goeben ait voulu intentionnellement
rompre le combat à la faveur du brouillard, qui s'était
épaissi. Il devait craindre également la proximité
des batteries côtières de Sébastopol,
car sa course parralèle aux Russes le conduisait à
présent droit sur elles. Toujours est-il que 10 minutes
plus tard, Eberhardt donnait l'ordre à toue l'escadre
de gagner le port. Les rapports Allemands faisant état
de l'action du cap Sarytch attesteront que seuls 19 obus de
280 mm avaient étés tirés au cours de
l'engagement. La casemate bâbord avait étée
touchée de plein fouet par un coup de 305 mm, et la
pièce mise HS, ses servants tués sur le coup.
Il est possible que l'acuité et la densité du
feu Russe ait décontenancé Souchon. Il est vrai
aussi que la portée de ses pièce n'était
pas inférieure mais il avait le dessous de la visée
du fait de sa position par raport à la côte et
que le brouillard était effectivement trop épais
pour poursuivre l'engagement avec succés. Factuellement,
et quelque soit l'opinion que les Allemands avaient alors
des Russes, un croiseur de bataille ne pouvait affronter 5
cuirassés et espérer en sortir indemne ! ...
On songe ce qu'il serait advenu si le temps avait été
au beau fixe, ce qui est fréquent en mer noire.
Au final, le Goeben s'en
sortait plutôt bien: Si le magasin à munition
de 150 mm situé sous la casemate touchée avait
pris feu, l'explosion qui se serait ensuivie aurait été
catastrophique. Il y eut environ 16 victimes du côté
Allemand, 33 morts et 25 blessés du côté
Russe. La casemate fut vite réparée, car le
Goeben effectua une autre sortie dès le 6 décembre,
mais son activité se fit plus modeste jusqu'à
la fin de la guerre. Du côté Russe on ne pouvait
parler de victoire. Eberhardt devait pester contre le brouillard
puisqu'il avait eu une occasion unique de pouvoir couler le
bâtiment Allemand grâce à une claire supériorité
de feu...