A 4h40, Beatty changea donc de cap
vers les escadres de Jellicoe, en espérant
qu'Hipper en ferait autant. Mais les dreadnought de
la 5e escadre, de l'amiral Evans Thomas, n'avait pu
apercevoir les signaux envoyés du
HMS Lion,
portant la marque de Beatty, et se retrouva en face
de la flotte de Scheer. Ses dreadnoughts rapides
Valiant,
Barham,
Warspite et
Malaya, croisèrent
ainsi le fer en même temps contre Scheer et
Hipper, tout en changeant de cap à 4h57. Ils
parvinrent à toucher de leurs redoutables 381
mm le
Grösser Kurfurst, le
Markgraf,
le
König, le
Seydlitz, le
Lützow,
et le
Derfflinger. On imagine sans peine la
stupeur des Allemands devant les gigantesques gerbes
apparues d'un coup, provenant de ces gros calibres
de derrière la ligne de bataille de Beatty...
Un piège beaucoup plus vaste se mettait en
place: La flotte de Jellicoe tentait une vaste manoeuvre
de contournement, la tactique célèbre
du "T". Scheer allait être coupé
de ses bases. Pour se dégager il allait alors
tenter une manoeuvre désespérée
et restée célèbre par son audace,
la "charge à mort". Quatre de ses
croiseurs de bataille les moins endommagés,
guidés par l'héroïque
Derfflinger
et escortés par des torpilleurs de haute mer
allaient foncer sur la ligne Britannique pour tenter
de la traverser. La manoeuvre était osée:
Il se mettait en position d'éperonnage, mais
en même temps offrait une cible réduite
aux canonniers Anglais. Les Britanniques connaissaient
la qualité des torpilles Allemandes: Ils rompirent
leur formation, mais parvinrent cependant à
concentrer leurs tirs sur le navire de tête,
qui fut coulé. Le
Derfflinger fut ainsi
la seule perte la plus sévère de cette
bataille dans le camp Allemand. Les autres pertes
furent le vieux cuirassé
Pommern, à
la traîne suite à la manoeuvre de retournement
de Scheer, ainsi que quatre croiseurs légers
et 5 destroyers. Plusieurs Zeppelins furent mis en
oeuvre sans succès, de même que les U-Bootes
en faction derrière le détroit de Skaggerak.
C'est ainsi que se termina la dernière phase
de la bataille. Profitant d'un immense banc de brume,
Scheer et Hipper s'échappèrent et
regagnèrent les eaux Allemandes et le port
de Wilhemshaven, aidés par la diversion créée
par les torpilleurs de haute mer, gardant les navires
Britanniques en respect. Ces derniers eurent à
déplorer la perte de 3 croiseurs de bataille,
3 croiseurs-cuirassés, un croiseur léger
et 5 destroyers. Le bilan était donc relativement
en faveur des Allemands, mais bon nombre des navires
de ligne de la flotte avaient étés
durement endommagés et furent immobilisés
plusieurs mois en réparations. La controverse
dure encore sur le détail des opérations,
mais il est un fait avéré que l'on
reprocha à Beatty et Jellicoe ( surtout par
Churchill ) de n'avoir été plus loin,
d'avoir gâché une occasion unique en
laissant filer la flotte, tandis que Scheer et surtout
Hipper furent fêtés comme des héros.
Ce fut la dernière bataille navale d'envergure
de la grande guerre. Après cette occasion,
le gros de la flotte de ligne ne devait plus quitter
ses ports, et c'est presque intacte et composée
de nouveaux bâtiments qu'elle fut contrainte
de rejoindre sous bonne escorte la grande base navale
de Scapa Flow où elle se saborda en 1919,
après qu'une mutinerie "rouge"
fut évitée de justesse. Marins et
officiers en gardèrent un amer souvenir,
et à leur retour en Allemagne, alors qu'à
Berlin ce n'était que troubles politiques
et affrontement de bandes armées, les Officiers
disaient "plus jamais de Scapa Flow",
symbole de l'humiliation suprème de l'Allemagne.
Le discrédit jeté sur la marine pesa
sur le réarmement Allemand à partir
de 1933: Hitler jugeait une flotte de surface inutilement
coûteuse et préférait consacrer
ses efforts sur l'aviation et les sous-marins. Cependant
à partir de 1935-36 et les accords navals
Anglo-Allemands, le rêve d'une puissante flotte
de surface revint. Son premier représentant
( et le plus fameux ) fut le cuirassé Bismarck.
Mais ceci est une autre histoire...
Forces engagées: