... le tir des navires de ligne était rasant, et
peu précis, et le soutien attendu fut très
aléatoire. En somme, les troupes éprouvèrent
le même sentiment d'impuissance que leurs frères
d'armes sur le front ouest. La situation différait
selon les plages. Aux plages V, W, et X, plus au sud sur
le cap Helles, la préparation d'artillerie avait
étée considérable, mais pas sur "Anzac
Cove" qui était conçu comme une surprise.
Les troupes, en majorité Australiennes, arrivaient
donc devant des lignes ennemies intactes. Le soutien d'artillerie
ne vint qu'après, et fut restreint par sécurité
lorsque les troupes progressèrent vers l'intérieur.
Un autre débarquement eut lieu sur la plage "S",
à Kum Kale, de troupes Françaises soutenues
par le Cornwallis, qui prirent le village et le tinrent
malgré les contre-attaques Turques. Malheureusement,
les pertes des Anglais étaient telles, que les Français
durent quitter le village pour rejoindre la MEF enlisée
sur la côte occidentale de la presqu'île. Le
soutien naval ne fut pas efficace contre les positions retranchées,
mais bien plus sur les troupes Turques qui contre-attaquèrent
à découvert le 27 et le 28. Le Queen Elisabeth
prouva alors sa valeur en stoppant net la première
offensive d'une seule salve, tandis que la seconde le landemain
fut littéralement anéantie par des shrapnells
de 381 mm utilisés spécialement pour l'opération.
Il montra aussi la précision de son tir lorsque le
27, il coula depuis Gaba Tepe un transport Turc qui traversait
le détroit, repéré par un ballon qui
indiqua sa position précise.
-Du piétinement au retrait:
Devant l'opinâtre résistance des Turcs, commandés
par le général Allemand Helmuth von Sanders,
l'offensive ne parvint jamais à ses objectifs initiaux.
Les troupes débarquées à la pointe
du cap Helles ne parvinrent jamais à vue de Krithia,
tandis que celles d'"Anzac Cove" n'avancèrent
que que de quelques kilomètres, les hauteurs restant
à l'ennemi. Leur situation était intenable
car la configuration du terrain faisait que les armes Turques
battaient toutes les zones à découvert. De
nombreux officiers supérieur y perdirent la vie,
le général Français Gouraud y est grèvement
blessé. On ne ravitaille plus les troupes que de
nuit, et l'évacuation des blessés reste problématique.
Ce n'est que le 1er mai que les forces de l'entente parviennent
à constituer une tête de pont de faible profondeur.
Mais le front restait figé. Le 6 mai, Hamilton décide
de débarquer dans la baie de Suvla, et de lancer
une attaque sur Kereves-Dere et Achi Baba. Ce sera uun échec
sanglant, et ce malgré une nouvelle tentative avec
des troupes fraîches le 15. Plus grave, le soutien
de marine était compromis: Le 12 mai, le torpilleur
Turc Muavenet parvint à torpiller le HMS Goliath
et à l'envoyer par le fond. Plus tard, le 25, c'était
au tour du HMS Triumph, coulé par l'U21. Et
deux jours plus tard, le même U21 envoyait par le
fond le cuirassé HMS Majestic. Devant cette
menace très sérieuse, l'amirauté décida
de retirer tous les cuirassés et navires de ligne
encore en soutien, et par commencer le flambant neuf Queen
Elisabeth, qui rallia sagement l'Egypte... Désormais
ce seront les petites pièces de quelques croiseurs
et destroyers qui effectueront les tirs de couverture, ainsi
que quelques "monitors improvisés" avec
des navires locaux réquisitionnés.
La
dernière tentative pour débloquer le front
fut menée le 6 août: Il était question
d'effectuer deux attaques au sud sur le cap Helles et sur
Sari-Bari. Cette dernière est menée par les
Anzac et échoue totalement. La seconde ne recontra
que peu de résistance mais l'incurie des officiers
fit qu'elle ne progressa pas, laissant le temps aux Turcs
de fortifier leurs positions et d'envoyer des renforts.
Lorsqu'Hamilton arriva, il était trop tard. Ce dernier
échec copute sa place au premier Lord de la mer,
Winston Churchill, tandis qu'Hamilton est remplacé
par Munro. Ce dernier est rapidement secondé par
Kitchener et les deux hommes en arrivent à la conclusion
que faute de soutien efficace, avec le feu continu des grosses
pièces turques intactes, et l'hiver arrivant, la
situation est compromise. La décision finale de retirer
les troupes viendra lorsque la situation aux Balkans se
dégrada rapidement. On évacua sans trop de
pertes d'octobre à Janvier les troupes alliées,
quelques 100 000 hommes, et on les débarqua à
Salonique pour soutenir le front Grec. Au total la plus
grande opération amphibie de la première guerre
mondiale se soldait par une échec cuisant: Constantinople
sera définitivement hors d'atteinte, tandis que la
triple entente avait perdu 7 cuirassés et laissé
250 000 hommes sur le terrain, morts et blessés.
Le vieux cuirassé
Messoudieh. ( Image Wikipedia DP ).
La revanche des submersibles:
Cependant
l'échec était compensé par la réussite
d'une des branches de ce plan: Les attaques menées
par des submersibles. Malgré les difficultés,
Anglais et Français tentèrent de passer les
défenses des détroits. Le 13 décembre
1914, déjà, le submersible Anglais B13
réussit à franchir toutes les lignes de mines
et les deux filets, et déboucha dans la baie de sari
Sighlar au sud de Cannakale. Il aperçut le vieux
Messoudieh, ancré comme batterie et lui décocha
une bordée de torpilles. Le cuirassé sombra
en dix minutes, emportant avec lui plus de 600 hommes, mais
la plupart réussirent ultérieurement à
quitter le bâtiment, dont la coque émergeait
encore et que l'on perfora pour les évacuer. L'exploit
du B11 ne s'arrêta pas là puisqu'il
parvint à ressortir par le même chemin. Le
capitaine Holbrook fut le premier à recevoir la Victoria
Cross de la guerre.
De
son côté le submersible Français Saphir
passa les défenses le 15 janvier mais s'échoua
sur Nagara. Il fut ensuite débusqué et coulé.
Le Britannique E15 fit de même le 17 avril,
et vint s'échouer sur Sari Sighlar après avoir
été happé par le courant des profondeurs.
Il fut détruit par les canons du fort de Dardanos,
et son équipage fut fait prisonnier, sans avoir pu
le saborder. Il sera coulé finalement bien plus tard.
Mais le 26 avril, le submersible Australien AE2 parvint
le premier à passer le détroit entièrement,
et à déboucher en mer de Marmara, qu'il écuma
pendant une semaine sans résultats tangibles, du
fait du défaut de détonateur de ses torpilles.
Le 29, il fut aperçu et coulé par le torpilleur
Turc Sultanhissar.
Le même 27 avril, un autre submersible, l'E14 du
commandant Boyle, passa également en mer de Marmara
et y décocha toutes ses torpilles, usant également
de son canon, et coulant un tonnage important. Il revint
par le même chemin, et reçut la Victoria Cross
tandis que le trafic marchand en mer de marmara était
interrompu pour quelques temps. Boyle ne se contenta pas
de ce premier succés et fit deux autres traversées
du détroit sans encombre, allant encore infliger
des pertes au trafic Turc, et ce malgré la pose d'un
nouveau filet en baie d'Erin Keui. Le 23 mai, l'E11 fit
de même, coulant pas moins de 11 navires, dont trois
dans le même port de la côte de Thrace. Le 8
août, au cours dune nouvelle traversée, il
coula le cuirassé Hayredin Barbarossa. Il y eut aussi
des exploits d'hommes isolés débarqués,
comme le lieutenant Lyon nageant vers la côte depuis
l'E2, réussissant à faie sauter grâce
à des charges de TNT un pont ferroviaire. Il ne revint
jamais. Le Lt. Hugues fit de même depuis l'E11. Il
fit dérailler un train en faisant sauter la voie,
et gagna à son retour la D.S.O. Le 17 juillet, l'E7
s'en prit directement au canon à une voie ferrée
côtière et stoppa et détruisit deux
trains.
Mais tous n'eurent pas de chance: Ce fut le cas de l'E7
lors de sa dernière sortie, lorsqu'il s'empêtra
dans le premier filet, mais aussi du Français Mariotte
le 27 juillet. Le Joule fut de son côté
coulé le 1er mai en sautant sur une mine. Quand au
turquoise, son histoire est édifiante: Il parvint
à franchir le détroit le 28 octobre, pénéta
en mer de Marmara et coula quelques navires, mais au retour,
le 30 s'échoua au pied d'un fort et fut capturé
intact. Les Turcs mirent la main sur le submersible qui
fut remorqué, rebaptisé et remis en service
aux couleurs Turques, mais aussi sur des documents détaillant
les opérations alliées et un rendez-vous avec
le submersible Britannique E20. Lorsque ce dernier
arriva à l'heure dite, ce fut pour être torpillé
par l'U14 en embuscade... Au final, les alliés
coulèrent deux vieux cuirassés Turcs, un destroyer,
5 canonnières, 9 transports de troupes, 7 ravitailleurs
et plus de 200 vapeurs et navires divers, tout en vidant
littéralement la mer de Marmara.
La dure leçon des Dardanelles ne fut pas perdue.
Si aucune autre opération amphibie d'une envergure
similaire ne fut entreprise ( à part le projet de
1918 en Baltique ), on se mit à réfléchir
sur de nouveaux concepts qui portèrent leurs fruits
durant la seconde guerre mondiale, où ce genre d'opérations
connut un développement constant et arriva à
ses heures de gloire. Les succés obtenus en Crimée
n'étaient pas comparables, et les pertes ne furent
pas dûes aux forts mais aux mines et submersibles
ennemis. Elles étaient certes imposantes, mais limitées
à des bâtiments obsolètes, peu utiles
par ailleurs dans une ligne de bataille moderne. En filigrane
se dessinait cependant le futur usage des navires de ligne
comme batteries côtières, un rôle qui
reste d'actualité, et même d'avenir. On étudie
depuis quelques années des navires ultra modernes
équipés de tourelles simples, doubles ou triples
de gros calibre à des fins de soutien côtier
aux troupes à terre, en bénéficiant
de tous les progrés en termes de portée, de
précision, d'obus à ailettes et à poussée
additionelle...