La Bataille de Santiago de Cuba ( 3 juillet
1898 ).
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La carte des opérations
avant, pendant, et après la bataille. En bleu
les Américains ( bleu-rouge l'escadre du Commodore
Schley, bleu-blanc celle de Sampson ). En rouge, l'escadre
de l'amiral Espagnol cervera. |
L'Espagne disposait en métropole
du Pelayo, les Vitoria et Numancia étant encore
aux chantiers de la Seyne à Toulon, et le Mendez
Nunez en réserve, de même que la batterie côtière
Duque de Tetuan (1874) et le navire-école Puigcerda,
un monitor de 1874, pour les cuirassés, l'Emperador
Carlos V et le Princesa de Asturias fraîchement accepté
en service étant stationnés également
à Cartagène et Cadiz et effectuant durant
la guerre des patrouilles. La plupart des torpilleurs y
étaient également stationnés.
L'escadre des caraïbes n'était
composée au moment de la déclaration de la
guerre que de quelques unités mineures, et une forte
escadre était rassemblée aux îles du
cap vert, comptant l'Amiral Ocquendo, le Vizcaya, l'Infanta
Maria Teresa, le Cristobal Colon, les destroyers Furor,
Terror et Pluton, sous les ordres du meilleur amiral Espagnol,
le très respecté Pascual Cervera y Topete.
Cet homme de 59 ans, ancien ministre de la marine avait
servi 47 ans dans la marine, à Cuba, qu'il connaissait
bien, comme en extrême-orient, traversant les changements
de régime. Cultivé, galant, compétent,
courageux, il était apprécié aussi
bien de la cour que de ses hommes.
Au moment de la déclaration de
la guerre, il proposa à Madrid d'attendre aux îles
Canaries la marine Américaine qui ne manquerait pas
de cingler vers les côtes métropolitaines,
et en combinant son escadre avec celle de Cartagène,
envoyée en renfort, prendre en tenaille les "Yankees"
et leur infliger une cuisante défaite. Tous ses commandants
avaient approuvé ce plan. C'est avec une relative
consternation qu'il apprend que ses ordres sont de défendre
Cuba sur place et d'appareiller dès que possible.
Il s'éxécute donc avec la même triste
résolution que l'amiral Anglais sir Charles Cradock,
envoyé au sacrifice contre les puissants Scharnhorst
et Gneisenau au large des Malouines. Il sait que sur le
papier ses forces sont importantes, quoique surclassées
par le nombre et le tonnage de la flotte Américaine,
qui est chez elle, et que ses navires sont loin d'être
au top niveau: Ils souffrent d'un mauvais approvisionnement
d'obus, de malfonctions diverses de leurs canons principaux,
d'un manque d'entretien tel que le Vizcaya par exemple pouvait
à peine soutenir 12 noeuds, sans parler du Cristobal
Colon à qui il manquait sa tourelle avant, la moitié
de son armement principal.
Néammoins la flotte quitte St
Vincent le 29 Avril 1898, comme l'apprennent rapidement
les Américains. Faisant un long détour et
supposés manquer rapidement de charbon, les Américains
pensent que l'escadre de Cervera va probablement gagner
le port fortifié de Puerto Rico. Le 1er mai, très
loin de là, à Cavite ( baie de Manille ),
une escadre Américaine coulait par suprise au mouillage
l'escadre Espagnole du pacifique. Sampson doit donc lui
aussi nécéssairement marquer des points, ne
serait-ce que pour le sport. Mais l'escadre de Cervera est
autrement plus sérieuse que les vielles canonnières
d'extrême-Orient... Le 4 mai, la flotte de l'amiral
Sampson est donc envoyée devant la colonie pour intercepter
Cervera. Le 11 mai, elle arrive devant San Juan et commençe
à bombarder la rade, pensant que cervera s'y trouve.
Devant l'évidence de l'absence de l'amiral Espagnol,
l'escadre fait route pour retourner à Key West. Un
navire l'informe que l'escadre à été
vue charbonnant à la Martinique. Sampson y cingle,
puis vers Curaçao. Puis il retourne vers Key West
où il doit être rejoint par l'escadre de Schley.
Les deux escadres fusionnent le 18. Key west étant
à quelques encâblures de la Havane, il semble
improbable que Cervera vienne s'y risquer pour tenter de
lever le blocus. Ils savent que l'escadre est arrivée
au sud de Cuba, et qu'elle doit être au mouillage
sous la protection des canons de l'un des deux ports fortifiés
de la côte dans ce secteur, Cienfuegos et Santiago
de Cuba. Pensant que la première hypothèse
est la plus vraisemblable, l'escadre combinée Américaine,
maintenant sous les ordres de Schley, appareille vers Cienfuegos.
La confiance des Américains sur l'issue du combat
qui s'annonce est telle que l'escadre est entourée
d'une pittoresque flottille de yachts de luxe qui pensent
assister à un "pique nique": Sur ces unités,
on a quand même embarqué une pièce de
campagne... au cas où. d'autres sont mieux armés,
après réquisition, comme le Gloucester, qui
aura sa part au coeur de la bataille.
Le 22, il devant Cienfuegos, l'oeil dans
la lunette, l'amiral Schley observe la pomme de mât
qui émergent des collines cachant la rade, des nombreux
navires présents, mais sans parvenir à les
identifier formellement. S'agit-il de ceux de Cervera? Le
jour suivant, une estafette rejoint l'escadre avec un message
de Sampson lui confirmant l'odre de rester sur place. Mais
quelques heures plus tard, il reçoit d'une autre
estafette celui d'appareiller rapidement vers Santiago,
que des rumeurs persistantes désignent comme le mouillage
de l'amiral Espagnol. Mais Schley doute toujours et sent
que la présence de cervera à Cienfuegos est
toujours possible. Le 25, un croiseur de Sampson arrive
avec la copie du premier message, qui réitère
l'ordre formel de rejoindre à toute vapeur le port
de Santiago. Il s'éxécute à contrecoeur.
Il apprend par le commandant du croiseur que des résistants
Cubains donneront le signal, trois traits de lumières,
depuis la fenêtre d'une maison de la côte près
du port, si l'escadre Espagnole s'y trouvait. Les veilleurs
au bout de trois jours crurent voir ces lumières,
et Schley reçut la confirmation formelle de la présence
de Cervera par d'autres sources. Il ne pouvait plus subsister
de doutes.
Cependant, Schley ne peut intervenir
tout de suite: Les conditions météo se dégradent
rapidement et le charbonnier de la flotte, le Merrimack
à de graves problèmes de chaudières
qui l'immobilisent. A 20 milles marins de Santiago, il délègue
trois navires pour tenter d'apercevoir la flotte Espagnole.
Ils en reviennent sans avoir aperçu l'ombre du moindre
croiseur. Schley décide alors, craignant de tomber
à cours de charbon, de filer vers Key West pour se
ravitailler, au grand dam du secrétaire d'état
à la marine,
furieux, qui constate l'insubordination de son amiral. Il
envoie le 27 un télégramme urgent classé
"top priorité" intimant à Schley
l'odre le plus formel de rester sur zone. Heureusement,
ce dernier renonce au dernier moment à quitter la
zone, bien avant de recevoir le télégramme,
car la mer s'est calmée et son Charbonnier Merrimack
est de nouveau en mesure d'accomplir son travail. Se ravitaillant
sur place, il emmène toute son escadre le 29 mai,
et stationne devant l'embouchure du port. Là, il
aperçoit aux lueurs du couchant le Cristobal Colon,
et l'engage le landemain à l'aube. Le duel d'artillerie
est inégal et pourtant les coups des navires ne portent
pas. Le Colon s'échappe et rejoint le reste de l'escadre
pour se placer directement sous la protection des canons
du fort. Le landemain, Sampson rejoint l'escadre de Schley
et y joint ses forces.
Les forces américains entament
donc un siège du port. Pour Cervera la seule possibilité
de s'échapper est que le temps se dégrade,
et de pouvoir quitter le porte à la double faveur
de la nuit et du gros temps. mais la mer reste d'huile.
De leurs côtés les deux amiraux Yankees n'envisagent
pas de forcer la rade: De grosses batteries commandent l'embouchure
et les approches du port, sans compter les batteries à
longue portée du port fortifiée lui-même,
et les mines mouillées en travers de cette embouchure.
D'autre part, ils peuvent attendre que le Général
Schafter, débarqué non loin, n'arrive pour
prendre la ville et le port à revers avec ses troupes,
puis capture le fort, ses batteries, et force Cervera à
quitter la rade. C'est effectivement ce que les évênements
vont démontrer. Mais Sampson, qui à hissé
sa marque sur le croiseur-cuirassé New York, grâce
à l'inspiration de R.P. Hobson, lieutenant de marine
et ingénieur brillant, élabore un plan lumineux:
Il s'agit d'envoyer le vieux Merrimack à travers
l'embouchure, tous feux éteints, gagner la rade,
machines arrêtées, aidé par le courant
et son élan, puis se saborder une fois après
avoir manoeuvré pour se placer en travers et mouillé
solidement, grâce à ses charges judicieusement
placées. Ainsi, il obstruerait le port, coupant toute
possibilité de retraite à Cervera.
L'opération est conduite dans
la nuit du 2 au 3 juin mais est un échec: Le navire,
toujours à cause de problèmes de pression
dans ses chaudières, est mal manoeuvré et
se saborde dans une position et à un endroit qui
permet toujours à Cervera de quitter la rade. De
son côté, l'mairal Espagnol à depuis
quelques jours envoyé à terre laplupart de
ses marins avec toutes les armes disponobles afin de renforcer
les lignes de défense de Santiago à l'intérieur
des terres, contre Schafter, qui s'approche dangereusement.
Devant la nouvelle de l'opération commando des Américains,
le "Capitaine-Général" Blanco, commandant
en chef des armées de Cuba, ordonne à Cervera
de sortir de la rade en force. Cervera étudia ses
possibilités: Sortir de nuit ferait courir le risque
à son escadre de manquer de visibilité pour
ses manoeuvres dans l'étroite embouchure, sans oublier
une collision toujours possible avec le Merrimack. Après
mûre réflexion, il décida d'appareiller
le Dimanche 3 juillet à neuf heures du matin, heure
traditionnelle des offices religieux dans l'US Navy ( Yamamoto
étudia en détail aussi bien Mahan que la guerre
Hispano-Américaine, ce qui guida ses choix bien plus
tard pour Pearl Harbour ). Dès le Samedi à
deux heures de l'après-midi, les chaudières
devaient êtres mises en route tandis que les matelots
en poste aux lignes de front à l'arrière de
la vlle devaient revenir de toute urgence pour embarquer
et préparer leurs pièces.
Le 3 juillet, à 9 heures, comme
prévu, l'escadre se mit en route. Mais des veilleurs
du navire-amiral du Commodore Schley, sur le croiseur-cuirassé
Brooklyn, aperçurent monter de derrière les
collines les épaisses fumées noires et donnèrent
l'alerte. Schley dépêcha le petit Yacht Vixen
pour s'informer de la préparation de tous les navires
de l'escadre en cas d'une sortie. Mais malgré ses
précautions, il fut décontenancé en
constatant la disparition le landemain à l'aube des
croiseurs New Orleans et Newark, partis charbonner à
Guantanamo, escorté par le cuirassé Massachusetts.
Le dispositif de blocage était à présent
gratifié d'un véritable boulevard à
l'Ouest. Sampson sur le New York cingla vers ce point pour
"colmater la brêche". Ce dernier et le Brooklyn
étaient à présent les deux seules unités
capables d'intercepter efficacement l'escadre de Cervera,
et elles étaient aux deux extrémités
du dispositif. A 9h35, sur une mer d'huile et sous un soleil
radieux, Cervera à la tête de l'Infanta maria
Teresa débarqua le pilote du port et commença
sa sorte de l'embouchure. Ses navires se suivaient à
intervalle de 7 minutes. Le veilleur du Brooklyn aperçut
le panache de fumée derrière la colline fermant
l'embouchure et donna l'alerte, vite confirmée par
Schley lui-même à l'aide d'un binoculaire.
Les pavillons de branlebas furent dressés à
la pomme des mâts, mais le New York de Sampson avait
bel et bien disparu de vue et n'était pas informé.
Le duel commença entre le Teresa,
en tête, et le cuirassé Iowa, en face. C'était
presque une éxécution: Le navire-amriral esapagnol,
lancé à toute vapeur, ne pouvait faire feu
que de sa pièce avant et de quelques pièces
en barbettes tandis que l'escadre en demi-cercle des Américains
le tenaient sous la portée de presque toutes leurs
pièces: Tout l'horizon barré de silhouettes
noires s'embrasa littéralement de lueurs mortelles.
Heureusement pour Cervera, il n'y avait pas un souffle de
vent, et les épaisses fumées blanches des
pièces cachèrent aux pointeurs la silhouette
du Teresa. Aussi, à la seconde salve, les coups se
firent au jugé malgré la distance et ne portèrent
pas. A sept miles à l'est de santiago, Sampson se
rendait à une entrevue avec le général
lorsque l'un de ses veilleurs l'avertit des fumées
blanches de canons. Observant alors lui-même la scène
il entr'aperçut entre deux panaches de fumée
la silhouette caractérstique du Teresa et comprit
que l'heure était arrivée. Il fit faire volte
face à son énorme croiseur pour "barrer
le T" de la ligne de bataille de Cervera en espérant
fortement que ce dernier, ignorant sa présence si
loin du dispositif, viendrait à lui. A cette distance
il était encore impossible toutefois de prédire
si Cervera s'échappait vers l'est ou l'ouest.
Cervera étudia encore les options
possibles et décida de recourir à l'un de
ces gestes chevaleresque qui faisait la fierté de
la Couronne d'Espagne: Filant droit vers l'ouest, vers le
Brooklyn, Il tenterait de l'éperonner par le travers
tandis que le reste de l'escadre, tout en se mettant
en ligne de bataille pour répondre efficacement aux
navires Américains, s'échapperaient à
l'est, apparemment vide du New York, seul navire avec le
Brooklyn capable de les suivre. Comme prévu, le subterfuge
prit et le cuirassé Texas, très proche du
Brooklyn, croyant que Cervera appareillait à l'ouest,
commença sa manoeuvre en ce sens, comme le reste
de l'escadre. Le Brooklyn fut le seul à tourner sa
proue vers l'est ( par erreur, non par prescience! ). Au
milieu du brouillard gras généré par
les cheminées des navires, qui se répandait
à la surface faute de vent, l'un des veilleurs du
Texas vit soudain émerger avec stupeur la haute proue
blanche d'un croiseur, dont les dorures arboraient le blason
rayé et l'aigle. "Brooklyn droit devant!"
Grâce à la présence d'esprit de l'officier
de pont qui rabattit les leviers du xxx sur "machines
arrières toutes", et de la promptitude du barreur,
le texas évita une fatale collision...
Sortant de la baie, Cervera vit le Brooklyn
obliquer vers l'est, ne lui présentant plus son flanc.
Renonçan à un éperonnage, il confirma
rapidement son cap à l'ouest pour donner le change.
Pénétrant plus avant dans le dispositif du
feu Américain, il attira à lui tous les tirs,
tandis que le Colon et le Vizcaya s'éclipsaient en
rasant la côte. Encaissant durement, le Teresa fut
atteint par un gros calibre qui rasa la passerelle, tuant
tous les officiers dont le capitaine. Cervera prit alors
personnellement le commandement du navire. Il commença
à brûler, le feu se répandant dangereusement
dans les coursives à l'arrière, vers les soutes
à munitions, qui ne pouvaient plus êtres noyées.
Cervera décida alors de sauver ses hommes tout en
se permettant quelque espoir de continuer la lutte depuis
la rive: Il fit tourner son navire vers la plage, pensant
l'échouer. Les navires Américains ne pouvaient
toutefos pas suivre le Teresa car leurs chaudières
étaient seulement pour moitié au maximum de
leur chauffe: par mesure de sauvegarde du combustible, on
les avait condamnées et elles étaient froides,
y compris sur le Brooklyn. Ces mêmes mesures ordonnées
la veille pour empêcher que les navires tombent à
cours de charbon pesa lourdement sur la suite.
La situation du croiseur Ocquendo, le
quatrième à sortir de la baie, n'était
guère meilleure car lorsque les tirs sur le Teresa
se calmèrent, ce dernier désemparé,
brûlant comme une torche, ils se reportèrent
sur le malheureux croiseur, qui répondit de toutes
les pièces, détruites les une après
les autres. Sa paserelles fut régulièreent
plonnée de sorte qu'au bout de quelques dizaines
de minutes, tous les officiers pouvant commander furent
tués. Plus de la moitié de son équipage
tué ou blessé, il ne lui restait plus qu'à
s'échouer à son tour, à moins d'un
mile du Teresa. Mais au moment du choc de l'échouage,
à 10h30, sa coque avait étée si malmenée
par les tirs qu'elle se cassa en deux une formidable détonation.
Enfin, ce fut le tour des destroyers Furor, Terror, suivi
du Pluton. Les deux premiers s'échappèrent,
zig-zaguant entre les hauts geysers des grosses pièces,
mais le dernier reçut un impact de gros calibre (330
mm) sur sa plage arrière, dévastant sa salle
des machines et faussant son gouvernail. Obliquant brusquement
vers la côte, il naviguait si proche de celle-ci qu'il
percuta presque immédiatement un récif, détruisant
sa proue. Son équipage sauta et nagea en quelques
minutes jusqu'au rivage.
Sr le Furor, la sitation n'était
pas meilleure: Un premier impact s'écrasa sur la
passerelle et tua l'officier de barre, et un autre condamna
la direction. La barre fut bloquée à sa plus
forte incidence et l'infortuné destroyer commença
à tourner en rond, encaissant d'autres tirs. Ne pouvant
répliquer avec ses petits calibres, Il fut rapidement
évacué par son équipage, juste avant
qu'un autre obus de 330 mm s'abbatte sur la salle des machines,
envoyant morceaux de chauffeurs et morceaux de chaudières
portées à blanc dans l'azur. L'eau s'engouffra
immédiatement à l'arrière béant,
et il sombra en un instant. En trente minutes, deux croiseurs
et deux destroyers avaient étés détruits.
Schley pouvait savourer sa victoire. Mais l'hallali n'était
pas encore totalement consommé: Le Brookyn, suivi
du Texas et de l'Oregon entamèrent un tir en chasse
du Vizcaya, le plus proche, longeant la côte un peu
plus au large que le Colon. L'Iowa et un yacht en première
ligne, le Gloucester, repêchait les suvivants Espagnols,
tandis que l'Indiana restait en arrière-garde, faute
d'une chauffe suffisante. Un formidable duel d'artillerie
commença alors, bord à bord et à bout
portant ( 900 mètres ), entre le Vizcaya, protégeant
la fuite du Colon ( lequel n'avait pas sa pièce de
254 mm avant ), et le Brooklyn, comme au temps de Nelson.
A cette distance, même un fusil portait. Toutes les
pièces, jusqu'aux mitrailleuses, crépitaient
de rage. Pour un peu et Schley et son équipage se
sentaient prêt pour un abordage en règle, sabre
au clair...
Les réguliers exercices des canonniers
américains commençèrent à porter
leurs fruits. Bien que le rechargement de leurs pièces
soit plus lent et que les officiers leur demandaient de
prendre leur temps avant de viser, les coups aux buts devinrent
de plus en plus nombreux au point qu'un matelot qui observait
la scène s'étonna de ne plus voir les panaches
blancs des geysers... de leur côté les canonniers
Espagnols étaient bien servis par des canons un peu
plus rapides et un blindage de coque plus épais,
mais une fébrilité toute latine commença
à sévir tandis que le seul exercice à
l'année auquel les cannoniers avaient droit se fit
sentir dans la désastreuse imprécision des
tirs du Vizcaya. A un moment, le Brooklyn encaissa un obus
de 280 mm qui pénétra dans la coque juste
sous la passerelle mais n'explosa pas, blessant superficiellement
deux matelots. L'instant d'après un autre obus décapita
le régleur de tirs, perché sur sa hune. Mais
l'instant d'après, un coup au but à la poupe
sur le Vizcaya fit sauter la torpille dans son tube arrière.
Le navire commença à brûler furieusement,
gênant les canonniers. Le sort du navire était
scellé. Lentement mais sûrement ses pièces
furent mises hors de combat et après avoir fait mine
d'obliquer vers le Brooklyn pour l'éperonner, il
fut décidé de le faire échouer sur
la plage, comme les deux autres. Le commandant étant
grièvement blessé, c'est son second qui prit
la relève, et après un rapide "vote"
avec les officiers et matelots présents pour savoir
si quelque chose de plus pouvait encore être fait
pour la couronne et l'honneur de l'Espagne, aucune voie
ne s'éleva contre la décision d'échouer
le croiseur.
En voyant ce dernier obliquer résolument
vers la côte, le Brooklyn et le Texas cessèrent
le feu. A bord du Texas on allait entamer un chant de victoire
lorsque le capitaine Philips leur intima l'ordre de se taire:
"Ne chantez pas, boys, ces pauvres diables sont en
train de mourir"... En effet, on pouvait voir les tâches
blanches piquées de rouges des blessés comme
des valides, qui l'épaule, qui le dos en feu, qui
un bras en moins, leurs uniformes souvent en lambeaux ou
roussis, semblaient jaillir encore fumants des plaies ouvertes
de la coque comme du pont. Ce dernier était transformé
en un enfer, dont les langues rougeâtres léchaient
déjà les pavillons de tête de mât
sur fond d'un grondement sourd continu. Ces mâts commençaient
d'ailleurs à se tordre sous la chaleur. Leurs immenses
câbles en acier se rompaient soudain dans une horrible
détente métallique, et gare aux infortunés
qui se trouvaient sur leur chemin: On les retrouvait souvent
en deux parties. Les planches du pont qui ne se consumaient
pas encore, cédaient, éclataient, sous les
gondolements du pont en acier porté au rouge par
la pression. Le ventre du navire entier n'était plus
qu'une immense chaudière vomissant par tous les orifices.
Mais le calvaire des hommes du Vizcaya
n'était pas terminé: Plongeant avec la douleur
que l'on imagine dans une eau salée qui attaquait
leurs plaies et décapait à vif leurs bûlures,
ils devaient rester immergés par intermittence pour
échapper au tirs de fusils des résistants
pro-américains de Santiago qui, ayant assisté
d'abord passivement au spectacle, avaient décidé
de s'en prendre aux représentants du régime
haï, qui nagaient péniblement vers le rivage.
Des environs d'autre fusils venaient s'y ajouter à
tel point que le Commandant Evans, de l'Iowa, qui avait
mis à l'eau toutes ses chaloupes pour recueillir
les survivants, dépêcha une vedette avec un
officier armé d'un porte-voix pour dissuader les
Cubains de continuer leur massacre facile, sous la menace
d'une volée de ses grosses pièces... Les matelots
Espagnols voyant les tirs qui les accueillaient au rivage,
rebroussaient chemin vers les sauveteurs Américains,
et devaient composer cette fois avec les requins, attirés
et rendus fous par l'odeur du sang, qui leurs barraient
le passage, hapant ça et là des membres au
hasard: Un premier-maître Américain de l'Iowa,
Jeffrey Davis, se souvient avoir donné la main à
un officier au bras brûlé qui surnageait difficilement.
Alors qu'il se penchait d'avantage pour le tirer plus facilement
de l'eau en agrippant ses avant-bras, il vit une forme grise
filant au ras du plat-bord, et l'instant d'après
il se renversait dans la chaloupe, avec sur les genoux le
tronc du malheureux. Un Squale avait emmené le reste.
Le Cristobal Colon, pendant ce temps,
semblait semer ses poursuivants. Il était chassé
désormais par le Brooklyn, dont les machines n'étaient
pas encore pleinement en chauffe, contrairement au cuirassé
Oregon, dont l'équipage avait redoublé d'effort
pour atteindre des moyennes qui n'avaient étées
obtenues que pendant les essais. Enfin, le Texas, à
l'arrière-garde, continuait sur son cap. La chasse
dura deux heures, le long de la côte Cubaine, sur
110 Kilomètres. Le Colon, filant presque vingt noeuds
semblait en mesure de les semer. Devant les distances qui
s'allongeaient, on fit cesser le feu en chasse pour faire
le point. Schley jubilait: La côte semblait interminablement
droite et le croiseur Espagnol mettait toujours plus de
miles entre eux et lui, mais il savait que la côte
s'infléchirait bientôt en face du navire Ibérique,
qui serait contraint de modifier son cap, présentant
cette fois son flanc à ses poursuivants. Sur la passerelle
du Colon, le "pacha" penché sur ses cartes
était autrement plus soucieux encore: Il savait que
dans une heure au plus ses chauffeurs, trimant dans l'enfer
de la salle des machines ( plus de 50° à pleine
vapeur ) auraient épuisé le stock de charbon
des Asturies et entameraient celui produit localement, de
piètre qualité. Comme prévu, à
neuf heures du soir, tandis que la côte commençait
à se rapprocher, le panache de fumée visible
à l'horizon depuis l'Oregon qui le talonnait changea
imperceptiblement de couleur. Lentement mais sûrement,
sous ce panache sombre, on recommençait à
distinguer la proue noire luisante aux reflets rouges sous
le soleil couchant, jusqu'à ce que les grosses pièces
avant du cuirassé soient de nouveau à portée.
Les canonniers Prirent tout leur temps pour viser, et l'Oregon
s'approcha au point que celles de 203 mm du navire espagnol,
les seules importantes dont il fut équipé,
se trouvassent également à portée.
Un "dialogue" s'entama entre les deux navires.
A la sixième salve, l'Oregon fit
mouche sur sa poupe. Le navire espagnol, qui filait toujours
droit vers la côte qui lui barrait à présent
le passage, avait décidé de faire en sorte
qu'il ne soit pas capturé: Pour que l'honneur soit
sauf, il avisa un groupe de récifs pour y faire courir
son navire et ensuite le saborder. Ce qui fut fait. Les
matelots et officiers purent ensuite tranquillement mettre
à l'eau leurs chaloupes et gagner le rivage, en attendant
de se rendre aux Américains. Lorsque l'amiral Sampson
arriva à toute vapeur sur le New York, tout était
terminé. Il ne pouvait que contempler les épaves
jalonnant la côte, éventrées, tordues,
d'où s'échappaient des torrents de volutes
épaisses. Il pouvait voir aussi le pont bondé
d'hommes de l'Indiana et de l'Iowa, le ballet des chaloupes
extrayant les corps ballotés comme des pantins de
l'eau noire. De toute l'escadre de Cervera, Seul le petit
Terror-au nom prédestiné- avait survécu.
La bataille de Santiago de Cuba était terminée.
L'Espagne avait perdu le même jour son meilleur amiral,
fait prisonnier de même que 1600 hommes et 70 officiers,
comptant dans ses rangs 323 morts et disparus et 151 blessés,
mais aussi la perte de sa meilleure flotte, et plus encore,
ses colonies des caraïbes, ceci quelques mois après
la chute des Philippines. Des naufragés qui avaient
atteint la côte et échappé aux fusils
des insurgés Cubains, une poignée seulement
avait rejoint les lignes défendant la ville. Les
Américains avaient perdu un officier de visée,
et déploraient 9 blessés légers et
un grièvement. Santiago tombera le 17 juillet, tenant
plus de deux semaines face à des troupes supérieures
en nombre.
On sait ce que les effets de cette victoire
eurent sur le congrés comme sur la presse populaire,
et plus encore sur les élites et le peuple Espagnol
qui voyait sombrer avec ses derniers navires ses ultimes
rêves d'égaler l'empire de Charles Quint. Mais
aussi sur des hommes qui voulaient leur part de gloire sur
ce qui fut en définitif, avec le recul d'un siècle,
une "éxécution"...
Non loin de là, un officier râblé
et nerveux aux ordres d'une célébrité
de l'ancienne armée sudiste, "Battler Joe"
Wheeler, portant favoris et petites lunettes rondes, montait
sous le feu Espagnol à la tête de ses Rough
Riders, sur la crête de San Juan. Ancien assistant
du secrétaire d'état à la marine, lecteur
assidu de Mahan, il était donc adepte du "choc
décisif" dont il avait fait sa philosophie.
Il fut élu 12 ans plus tard, président des
Etats-unis. Grand amateur de chasse et volontiers du Grizzly
des rocheuses, il fit également de sa marine presque
l'équivalent de l'omnipotente Royal Navy... Pour
tout le monde c'était "Teddy" Roosevelt.
(Voir US Navy 1914.)
Webographie:
http://www.spanamwar.com/
http://www.smplanet.com/imperialism/splendid.html#It
http://www.homeofheroes.com/wallofhonor/spanish_am/12_santiago.html
http://www.battleship.org/html/Articles/History/Santiago.htm